Bien que fermées depuis longtemps, les carrières de pierre meulière d’Houlbec-Cocherel jouissaient d’une réputation régionale qui n’était dépassée que par celle des gisements de La Ferté-sous-Jouarre, à quelque 30 km au nord-est de Paris.
La pierre
L’information la plus ancienne concernant ces carrières provient d’un mémoire d’un certain M. Guettard, adressé le 19 avril 1758 à l’Académie des Sciences et intitulé simplement Sur la pierre meulière. Après avoir retracé l’histoire des différentes sortes de pierre ayant servi à fabriquer des meules depuis 1558, Guettard identifiait la pierre meulière à ‘une sorte de silex semblable à la pierre à fusil, qui pouvait être non poreuse ou poreuse, d’une couleur rougeâtre ou jaunâtre aux teintes variant jusqu’au blanc ou même au bleu’. Il considérait Houlbec-Cocherel et La Ferté-sous-Jouarre comme les deux gisements principaux de pierre meulière.
En 1810, Brogniard fit un rapport enthousiaste du site : La couche de pierre meulière qu’on exploite a une épaisseur de deux mètres. Elle repose sur de l’argile imperméable et est ensevelie sous un lit de pierre meulière fragmentaire, connue sous le nom de rochard, lui-même recouvert de sable argileux ferrugineux et de cinq à six mètres de gravier. Le troisième texte dont nous disposons pour cette étude est à peu près contemporain de celui de Brogniard: c’est un rapport dans lequel le préfet du département de l’Eure précise que les carrières, jadis florissantes, ne servent plus qu’à équiper en meules les moulins de son département et que, malgré leur coût plus élevé, les meuniers préfèrent les meules briardes de La Ferté-sous-Jouarre, plus dures, plus compactes et d’une durée de vie plus longue.
Les carrières
Houlbec-Cocherel possédait plusieurs carrières. Les détails donnés par Guettard ressemblent à ceux que nous lisons chez Brogniard. Les couches de pierre meulière se présentent sous forme de blocs ayant un pied et demi à deux pieds d’épaisseur, mais à certains endroits cette épaisseur peut atteindre cinq à six pieds. Leur longueur est de sept à huit pieds et leur largeur de cinq pieds.
Les meules
La fabrication des meules différait de celle de la Ferté-sous-Jouarre. Tout d’abord, les meules d’Houlbec-Cocherel étaient composées de quartiers qu’on taillait et assemblait in situ. La Ferté-sous-Jouarre produisait elle aussi de petits blocs, mais elle laissait aux destinataires le soin d’en fabriquer des meules. Après l’assemblage à Houlbec-Cocherel, les ouvriers se servaient d’une corde pour déterminer d’une manière plutôt empirique le centre, l’oeil de la meule. C’est de là que dérive le nom du bloc central qualifié d’oeillard
.
Les meules étaient plutôt larges, mais n’étaient pas toujours bien régulières. Guettard, qui critiquait leur manque de finesse, ajoutait cependant que leur réputation se basait moins sur leur apparence que sur la
qualité du matériau. Les meules produites à Houlbec-Cocherel n’étaient pas rayonnées: la mouture s’y effectuait grâce aux arêtes des pores, qui coupaient le grain plutôt que de le pulvériser. Il fallait donc que ces pores recouvrent toute la surface de la meule. Comme à La Ferté-sous-Jouarre, les meuniers attribuaient différentes qualités aux meules selon leur teinte: ils préféraient toujours la pierre bleue à la pierre blanche ou rouge. Comme à la Ferté-sous-Jouarre aussi, on exportait vers l’Angleterre et les Pays-Bas les blocs que les fabricants de meules locaux jugeaient trop petits, parce que -toujours selon Guettard – là ils servaient encore à la confection de meules.
Les ouvriers
Assez curieusement, les ouvriers ne travaillaient que de la Toussaint jusqu’à la mi-avril ou au début du mois de mai. Ils prétendaient qu’en été la fraîcheur au fond des carrières risquait de leur être fatale.
Emplacement des carrières
Distribution des meules à partir d’Houlbec-Cocherel
Dans l’Eure, en 1808, la plupart des meuniers des arrondissements d’Evreux et de Louviers se fournissaient en meules à Houlbec-Cocherel. Les moulins à eau de Bernay, de Pont-Audemer et des Andelys fonctionnaient, quant à eux, avec des meules de La Ferté-sous-Jouarre. Nous trouvons toutefois des meules d’Houlbec-Cocherel dans les quatre moulins à vent des Andelys. Dans le département de l’Oise, dont les statistiques sont malheureusement insuffisantes, la majorité des meuniers s’approvisionnaient en meules briardes. Seul le moulin d’Auchy-en-Bray possédait une meule d’Houlbec-Cocherel. Les statistiques de 1808 précisent encore qu’on trouvait des meules d’Houlbec-Cocherel dans plusieurs moulins de Seine-et-Oise. La plupart des moulins équipés de meules d’Houlbec-Cocherel étaient situés sur la Seine, sur un de ses affluents ou à proximité immédiate. Mais là aussi les meules de la Ferté-sous-Jouarre étaient tout aussi présentes. N’oublions pas que même les ouvriers d’Houlbec-Cocherel admettaient la supériorité des pierres de la Ferté-sous-Jouarre…
Fermeture des carrières
Nous ignorons quand les carrières d’Houlbec-Cocherel furent fermées. A Paris, à l’exposition de 1885 consacrée à l’équipement meunier, il y avait encore un stand où on présentait des meules de cet endroit. En facilitant le transport des blocs provenant des principales entreprises rivales, telle La Ferté-sous-Jouarre, le chemin de fer, dont l’essor se situe vers 1870, a assurément porté un coup fatal aux carrières à vocation régionale. Vers le milieu du 19e siècle, les gisements d’Epernon, qui étaient situés à peine à 50 km de ceux d’Houlbec-Cocherel et qui produisaient une pierre meulière non poreuse convenant à merveille à la mouture américaine, se développèrent rapidement. Nous supposons que la plupart des carrières d’Epernon furent contrôlées par les grandes entreprises de La Ferté-sous-Jouarre et qu’elles débauchèrent les ouvriers d’Houlbec-Cocherel. Même les carrières de Cinq-Mars-la-Pile en Indre-et-Loire cherchaient à la même époque à recruter les ouvriers spécialisés d’Houlbec-Cocherel.