Houlbec-Cocherel possède une superbe collection de tenues et d’étendards des confréries de charitons. Ces confréries très présentes en Normandie prenaient en charge blessés et défunts des villages suites aux grandes épidémies.
Les confréries de charités
Malgré des associations similaires dans d’autres régions de France, comme les Charitables de Béthune, les Pénitents du Massif central, les confréries de Charités restent spécifiques à la Normandie et plus particulièrement au département de l’Eure.
Les grandes épidémies disparues, les frères continuèrent à assurer leur mission en prenant en charge les défunts à leur domicile dès leur décès (soins, veillées, mise en bière, etc.) jusqu’aux obsèques et au transport du corps à son lieu d’inhumation. Mais elles participent aussi aux offices religieux et aident par leur présence les familles dans la peine. Ainsi, le règlement diocésain stipule : « les frères sont spécialement consacrés à la disposition des morts dans le cercueil, à leur transport et inhumation ». Les charitons assistent également le prêtre à la grand-messe et aux vêpres. Ils sont tenus d’être présents, comme l’indique le règlement, aux célébrations des Rameaux, du Vendredi Saint, de Pâques, de l’Ascension, du Saint Sacrement, de la Toussaint et de Noël.
Lors des enterrements. Les tintenelliers ou clocheteux, seuls à porter la dalmatique, ouvrent le cortège : ils jouent des tintenelles, carillonnant à leur rythme. Puis suivent l’échevin ou maître, le prévôt, le clerc et tous les frères, les uns portant la bannière de la Charité, les autres les torchères ou le cercueil. Tous revêtent leur chaperon, la toque ou le bonnet. Dans le patois normand, on les appelle les charitons.
La tenue complète du Chariton ; sur la tête, la barrette. Sur ses vêtements civils, la soutanelle ou paletot descendant jusqu’aux genoux. Sur l’épaule gauche, en bandoulière, l’élément principal, le chaperon. Sur la face avant on aperçoit souvent l’effigie de la Vierge et le “grade” du frère. Cette tenue complète a perduré jusque dans les années 40. Après la guerre, les Charitons restants ne portaient plus que le chaperon en bandoulière.
La composition de la Confrérie est toujours semblable ; chaque frère ayant un rôle particulier :
- l’échevin est le maître de la Charité. A ce titre, il inspecte la tenue et la conduite des charitons, organise la vie de la Confrérie et les inhumations.
- le prévôt seconde l’échevin. Il assure également la tenue des deniers, l’état des absences et la perception des amendes.
- le clerc convoque la Charité, tient le registre et répond aux offices au nom de celle-ci.
- le tintenellier précède la procession mortuaire et sonne avec les petites cloches de cuivre dénommées tintenelles.
- les autres frères servants portent la bannière, les torchères et le cercueil avant qu’il ne soit transporté par un char funéraire à partir de 1899.
Les origines des Confréries de Charité.
Les premières de ces Confréries ont été créées au XIe siècle : Lisieux en 1055 ; Menneval (près de Bernay) en 1080… Cependant elles n’apparaissent dans l’histoire qu’au XIVe siècle, en 1358, à Rouen ; en 1397, à Sainte-Croix-de-Bernay. C’est surtout aux XVe et XVIe siècles que nous les voyons se créer dans diverses régions de la Normandie, dans le Drouais et le Mantois. Evreux en 1423, la Saussaye en 1805…
Les Charités remontent à l’époque de la grande peste noire venue de Chine. Cette grande épidémie, très meurtrière, laisse les gens sans réaction. On ne connaît évidemment pas, à cette époque, les mesures minimales d’hygiène, ni comment se propage la peste, et encore moins le moyen de l’éradiquer. Bien souvent, les cadavres restent dans les maisons ou jonchent les rues. Les morts sont abandonnés là, tant la frayeur est grande, sans même leur donner une sépulture chrétienne décente.
C’est alors que des hommes, bravant le danger, se dévouent pour les enterrer, au risque de succomber, eux-mêmes contaminés. Les inhumations ont lieu généralement la nuit, à la lumière des torches, avertissant les éventuels passants en faisant tinter leurs cloches. Ainsi s’explique la présence des torchères et des tintennelles dans les cortèges de Charité actuels.
Les charitons crient à leur passage, comme le rappelle Didier Blondel, spécialiste des Charités : « Veillez, veillez vous tous qui dormez, à la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ, pensez à prier Dieu pour les trépassés. Dites vos prières par charité pour l’âme d’untel qui est trépassé, qu’il plaise à Dieu de lui pardonner. » L’action de ces hommes conduit ainsi à la création des Confréries, aussi bien en ville qu’à la campagne.
Les Charités se généralisent alors dans les paroisses dépassant le millier en Normandie. Elles œuvrent lors des différentes épidémies qui se propagent au cours des siècles, mais également lors de toutes les inhumations de la paroisse. Celles-ci s’enracinent dans la vie de chaque village ou ville. Ces Confréries sont ouvertes à tous les hommes, pourvu que le candidat soit de bonnes mœurs chrétiennes et réputé pour sa moralité et sa conduite exemplaire. Les notables locaux se font un devoir de servir dans la Charité paroissiale.
La Révolution de 1789 marque durement les Charités. Ces dernières sont interdites par le décret du 18 août 1792. Il faut attendre que Bonaparte signe le Concordat de 1801 pour que les Confréries soient non seulement rétablies, mais aussi reconnues par l’Etat. Citons Etienne Pellerin, à qui nous devons la chapelle des charitons de la collégiale de la Saussaye. Il retrace ainsi la décision du préfet de l’Eure : « Il est déclaré que dans tous les lieux où il existera une réunion de citoyens vertueux qui se sont volontairement dévoués à rendre les derniers devoirs aux morts, ces citoyens sont invités à montrer les premiers l’exemple du respect pour les débris de l’humanité ». Les citoyens retrouvent leurs Charités qu’ils ont tant réclamées. Mais en contrepartie, les Confréries doivent adopter le règlement officiel érigé par le diocèse.